le 27 Mai en Guadeloupe est un jour chômé, d’un fort symbolisme qui résonne et s’imprime dans l’âme des habitants, comme les vibrations des Kas.
Mais qu’est ce que l’esclavage ?
Reprenons la définition officielle :
« L’esclavage est un système de domination et d’exploitation dans lequel des individus sont privés de leur liberté, de leurs droits fondamentaux et de leur personnalité juridique, les réduisant au statut de biens ou de propriété appartenant à d’autres. Ce crime, reconnu comme une violation grave des droits de l’homme, repose sur des pratiques coercitives, telles que la contrainte physique, psychologique ou économique, pour maintenir une soumission totale. »
Pour autant cette pratique a toujours existé, sous différentes formes et justifications (prises de guerre, infériorité d’une caste, servitude…). Elle existe aujourd’hui c’est ce qu’on appelle l’esclavage moderne, sous couvert de pratiques culturelles ou religieuses. Les derniers pays qui ont officiellement aboli l’esclavage sont l’Arabie Saoudite et La Mauritanie en 1981.
« nulle terre française ne peut plus porter d’esclaves »
decret mars 1848
Cependant, de nos jours, si on valide l’article du Guardian paru en 2016 par Kate Hodal, « One in 200 people is a slave. Why? » environ 40 millions de personnes, dont 26% d’enfants, sont encore réduits en esclavage dans le monde malgré l’illégalité de cette pratique.
Comment s’est passé l’abolition en France
L’esclavage a fait l’objet de contreverses et une cause forte pour les abolitionistes dès le XVIIè un peu partout dans le monde.
Les informations sur les états généraux et la prise de la Bastille sont arrivés tardivement à Marie Galante. Mais alors qu’en Guadeloupe une loi interdisait (sous peine de mort) aux esclaves de porter la cocarde tricolore, à Marie Galante, tous les habitants, à l’exception du commandant militaire, le marquis de Ségur d’Aguesseau, sont fiers de l’afficher. Son manque de patriotisme sera dénoncé et il sera remplacé.
La Révolution : Marie Galante au coeur de la tourmente, c’est la République des 12
Des dissensions se sont élevées aux Isles du Vent (Guadeloupe, Martinique, Tobago, Sainte-Lucie) entre patriotes et aristocrates, aggravées par le comportement des Assemblées coloniales de Martinique et de Guadeloupe, prétendant toujours brandir le pavillon blanc pour manifester leur fidélité au Roi Louis XVI .
A Marie-Galante, le commandant militaire Desnoyers reçoit la demande expresse du gouverneur d’Arrot de Guadeloupe de remplacer le drapeau tricolore par le drapeau blanc.
Celui-ci décide d’ arborer la cocarde blanche du camp monarchique.
Mais on décide alors de constituer une commission
Les représentants de l’Assemblée municipale de Grand Bourg se réunissent et élisent 4 commissaires.
A Capesterre, Dominique Murat est déjà président de l’Assemblée municipale de Capesterre et le 24 octobre il est élu parmi les 4 commissaires chargés de représenter Capesterre
Deshaies est élu président et Besnié, secrétaire. Deshaies, Murat et Pellier sont chargés de rédiger le règlement intérieur.
La Commission invite Vieux Fort (qui n’était pas encore St Louis) à convoquer une assemblée, à élire 4 commissaires- sont nommés Brunel, Piérot, Acquet et Bonneterre-Roussel.
Les 12 membres prêtent serment civique : « Je jure d’être fidèle à la Nation, aux Loix qui ont été faites pour la Colonie, au chef suprême du pouvoir exécutif reconnu par la Nation et de remplir avec fidélité, zèle et intégrité tous les devoirs demandés à la Commission «
Le 7 novembre, la Commission délibère : » Considérant que l’isle Guadeloupe, ou plutôt son assemblée coloniale et son gouverneur, non content d’être dans un état de rébellion ouverte envers la métropole, cherchent encore par toute sorte de moyens à nous attirer dans l’abime qu’ils creusent sous leurs pas … La Commission ne doit ni ne veut se rendre complice de la rébellion de l’assemblée coloniale et de Mr D’Arrot contre la Nation… «
» La Commission arrête qu’elle dénoncera incessamment Mr D’Arrot et le commandant par intérim à la Nation…
Arrête que le pavillon national sera, ce jour, arboré au Fort et que messieurs les officiers municipaux de l’isle seront invités à veiller à ce que personne n’arbore aucun signe proscrit par le décret de l’Assemblée Nationale du 4 juillet dernier et à dénoncer au pouvoir judiciaire ceux qui contreviendraient au présent arrêté…
Arrête qu’il sera notifié à Mr Desnoyers…que l’isle de Marigalante n’entend plus le reconnaître pour commandant particulier… qu’il lui soit notifié par le présent arrêté de sortir de l’isle sous vingt quatre heures, pendant lesquelles il lui sera donné une garde d’honneur… »
» Conséquence de cet arrêté, M M Murat, Roussel-Bonneterre et Pellier ont été nommés pour la notification d’icelui… »
Ce premier arrêté est signé Roussel-Bonneterre, Murat, Brunel, Pellier, Bequet, Prévost, Audrie fils, Hèloin, Bioche, Grévin, Deshaies et Besnié.
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C’est la naissance de la « République de Marie-Galante », aussi appelée République des Douze, puisque composée de ces 12 commissaires pour les 3 paroisses.
La Guadeloupe répond par un embargo sur les caboteurs qui ravitaillent Marie-Galante. Le chef de l’amirauté de Fort-de-France, le commandant Rivière, envoie une de ses frégates croiser dans les eaux marie-galantaises.
L’embargo est contourné par les « balaous »(barques légères), Marie-Galante continue à commercer avec les îles voisines, en particulier la Dominique.
Le 23 novembre, Serane, député de Marie Galante, écrit à » Rochambeau et aux commissaires civils envoyés à la Guadeloupe à présent à St Domingue » :
» La colonie de Marie Galante fidèle au serment qu’elle a fait de deffendre la Constitution et de se soumettre aux seules lois qui émanent de l’Assemblée nationale a mieux aimé s’exposer à une guerre affreuse que se parjurer ; Ni sa faiblesse, ni la disette qui la menace en rompant tout rapport avec la Guadeloupe, rien ne l’a arrêté ; elle a prononcé sa scission avec cette noble fermeté qu’inspire une bonne conduite. Notre isle est devenue l’asile de ceux que la rage ennemie des contre-révolutionnaires a forcé d’abandonner leur foyer… Les citoyens de couleur ont juré de demeurer fidèles à la nation de qui ils tiennent leur existance politique, et fiers d’être aujourdhuy vraiment libres, ils mourront avec nous pour soutenir la cause sacrée que nous avons adoptée. »
Suite à la Révolution Française en 1789, l’abolition a été une première fois proclamée le 4 février 1794.
On imagine aisément la déception, la violence et l’amerture des nouveaux libres et des abolitionistes quand à peine deux décennies plus tard, Napoléon le rétablit en 1802-1803. Il a donc fallut attendre La Deuxième République et les interventions répétés d’intellectuels et de politiques pour reparler d’abolition. En effet, de nombreuses voix dans l’hexagone mais également en outre mer s’élèvent pour demander l’abolition de l’esclavage : l’abbé Grégoire, Tocqueville, Schoelcher, Bissette, entre autres
Le 27 avril 1848 est finalement adopté un décret d’abolition de l’esclavage dans toutes les colonies françaises. Son article premier stipule que « l’esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises, deux mois après la promulgation du présent décret dans chacune d’elles ». Ce décret concernait plus de 220000 esclaves.
Le décret interdit absolument « tout châtiment corporel, toute vente de personnes non libres ». Il interdit à tout Français, même en pays étranger, de posséder, d’acheter ou de vendre des esclaves, et de participer, soit directement, soit indirectement, à tout trafic ou exploitation de ce genre. Toute infraction à ces dispositions entraînerait la perte de la qualité de citoyen français ». L’article 7 précise que « le sol de France affranchit l’esclave qui le touche. »
En Guadeloupe et à Marie Galante précisément
Le 8 mai Adolphe Ambroise Alexandre Gatine, membre de la Commission d’abolition de l’esclavage, monte à bord de la frégate « le Chaptal » avec le décret d’abolition pour le déposer aux Antilles.
Mais l’impatience légitime des nouveaux libres devant la lenteur de l’arrivée du décret, gagne la Martinique puis la Guadeloupe. Le gouverneur de la Guadeloupe, Jean-François Layrle, décide alors de ne pas attendre et à l’instar de la Martinique (le 23 mai 1948) il promulgue l’abolition de l’esclavage dès le 27 mai 1848.
Le décret officiel arrivera finalement à Basse-Terre, le 5 juin.
La fin d’une époque sans vraiment de solides bases pour les Nouveaux Libres
L’émancipation a concerné plus de 80.000 personnes, près de 70% de la population totale ( 130.000 habitants environ).
Le Nom des anciens esclaves
Les anciens esclaves n’ont pas de patronymes, contrairement aux Blancs (environ 10.000) et aux affranchis. Le nom de famille a dû être appliqué dans les mairies. Ce qui explique certains patronymes très dévalorisants ou ironiques.
Une période troublées de nombreuses violentes
La liberté acquise et devenu un droit n’a pas été appliquée sans heurt. Il a fallu aux nouveaux libres beaucoup de résilience, de ‘fos’ pour combattre les préjugés, les manipulations et les pressions multiples des planteurs. En témoigne les nombreuses révoltes parfois violentes, souvent injustement réprimés qui balayèrent l’ile. Et on peut citer notamment les premières élections en 1849 et la répression sanglante, les évènements de la Mare au Punch.
200 ans après l’abolition, les séquelles et conséquences de cette période de notre histoire sont encore assez visible dans la vie quotidienne et les rapports avec les autres.
Bien réelles ou ressenties, les difficultés (sociales, économiques, politiques…) restent intimement liées avec les traces laissées par la période esclavagiste.
Au niveau de la Guadeloupe, la citation de Michelle Makaïa Zénon, est assez parlante :
On entend encore le mot métropole, on dépend encore de cette métropole. Cette notion entre périphérie et métropole existe encore. On ne se réapproprie pas la Caraïbe.
A Marie Galante, du fait de notre double insularité, ce problème est encore plus sensible, puisque nous même dépendons du ‘Continent’.
C’est pourquoi le 27 Mai est un jour important, pour ne pas oublier le passé et construire le présent. En gardant à l’esprit, que la lutte contre l’esclavage reste un sujet d’actualité, douloureux.
En guise de conclusion, le terme moderne « esclavage » vient du latin médiéval sclavus : le mot « esclave » serait apparu au haut Moyen Âge à Venise, où la plupart des esclaves étaient des Slaves des Balkans (alors appelés Esclavons, terme issu du grec médiéval Σκλαβηνοί / Sklaviní, pluriel de Σκλαβηνός / Sklavinós), dont certains furent vendus jusqu’en Espagne musulmane où ils sont connus sous le nom de Saqāliba.